soirée d'avril
Ce soir, tout est vert poire. Les oiseaux, la musique, la
télévision, même ce livre que je lis depuis des heures sans même essayer de
comprendre l'histoire. Pour plonger dans cet océan psychédélique, il ne me
reste plus qu'à boire. Je ne comprends plus ce que je vis, je ne saisis plus
très bien mes sens, le vert, c'est la couleur de l'espoir. Et pourtant, ce qui
me trouble en ce moment, c'est que justement, je n'arrive plus à croire.
Pourquoi tant de déboires ? Un visage, un homme, le son de sa voix, je commence
à sentir que je m'approche de la tour d'ivoire. Pour plus de précisions, je me
précipite dans le noir. Rien à voir. Petit passage devant le miroir. Là je me
vois, mais aucun indice sur ce mystérieux inconnu capable de m'émouvoir. Un
rêve, un fantasme ? Interminable interrogatoire...
Ce soir, tout est vert dioptase. Je pense à lui, je ne peux pas dormir, je vois
la lune, les étoiles, leur chant, les cloches et le mouton, oh! Oui des
moutons, mais rien n'y fait, je suis naze. Je m'efforce de fermer les yeux,
chercher le sommeil, respirer calmement, faire un tour de mes muscles pour
vérifier que certains ne sont pas encore contractés. Toujours cette mâchoire
serrée. Cela fait quatre ans que ça me suit. J'imagine des médecines qui me
soulageraient de mes douleurs au dos, ça m'aide à les oublier pour m'endormir.
Mais toujours ce visage qui me hante. Ses yeux verts... Je viens de comprendre,
déjà un premier pas vers la rédemption.
Ce soir, tout est vert amande. Comme ses yeux, même s'ils sont un peu plus foncés
en fait. Mais ce n'est pas la même couleur partout, c'est pour ça. Je me lève,
je réactive l'écran, je veux lui parler. Il est connecté mais annonce la
couleur : absent. Comment l'aborder, par quoi commencer ? Un bonsoir, un ça va?
Ce serait trop banal. Je n'ai rien à lui dire. Je retourne me coucher, je
verrai ça demain. Mais demain, c'est loin. Je ne dors plus depuis que je l'ai
vu, c'est comme ça avec moi, l'excès. Mais j'ai toujours obtenu ce que je
voulais grâce à ça. Je l'aurais, je me le promets.
Ce soir, tout est vert viride. Je dois me préparer, je dois le trouver, le
combler, lui montrer tout ce qu'il va y gagner. Mais pas trop quand même, il
faut garder des secrets. Inventaire de ce que je sais : il est rusé, bien
habillé et parfait. Je l'aurai. Je me prépare et m'engouffre dans une foule de
gens bourrés. Je bois pour les rejoindre au pays où tout est permis. Je le
vois, il est là, seul, il danse. J'aime quand il danse. Son verre à la main, sa
tenue, son style, tout me plaît chez lui. Je vais le voir, l'alcool me donne le
courage de ce que je n'ai jamais osé. Maintenant il faut le surprendre, montrer
de l'esprit. Une phrase me vient, comme ça, sans que j'y aie réfléchit. Je me
vois prononcer des mots mais je ne sais pas ce que je dis exactement. Il me
regarde, je m'éloigne. J'attends. Plus tard il est toujours là, tant mieux. Il
vient me voir et engage une discussion sérieuse et technique. Je réponds
naturellement, par chance je connais bien le sujet. Il paraît conquis.
Ce soir, tout est vert émeraude. Je suis dans ses bras depuis des mois. Je
savais que je réussirais. Voilà deux ans que nous nous aimons. Malgré les
problèmes qui ont pu nous arriver, les phases difficiles, les désespoirs, les
colères, les cris, les devoirs, les soucis, nous nous aimons. Nous en avons vu
de toutes les couleurs, mais nous y survivons. Parce qu'en parallèle il y a les
joies, les rires, les jeux, les plaisirs, les désirs, les bonheurs d'un jour,
les attentions. Toutes ce choses qui font passer le coeur du vert au rose.
Ce soir, tout est vert kaki. C'est fini.